World-and-Yaoi
Je ne parviens même plus à me tenir droit, accablé par la fatigue. Zephilis s’est montrée très exigeante, elle ne se contente pas d’une « simple » communication mais d’une véritable fusion, d’une fusion naturelle. Pour le coup, je partais avec un avantage certain depuis le temps que Koryu me jouait des tours, j’ai fini par le comprendre, m’adapter, me mouvoir avec lui.
Toutefois, le processus restait toujours aussi déroutant. Ce n’était pas aussi facile de parler avec Shin que de parler avec Koryu, et, je me livrais plus facilement au premier qu’au deuxième envers qui j’éprouvais une totale confiance. Je lui fis part de mes observations alors que nous regagnons notre couchette.
- Peut-être, malgré tout, serait-ce plus facile de communiquer avec Koryu en passant par les sentiments que nous éprouvons l’un pour l’autre.
- Que veux-tu dire ?
- Je ne sais pas mais voilà, nous n’avons aucun secret l’un pour l’autre, dès que tu as des ennuis ou des soucis, je le sens et vice versa.
- Oui, c’est vrai, c’est parce que nous nous connaissons depuis toujours… Koryu habite en nous depuis aussi longtemps mais nous ne sommes pas aussi intimes. Tu vois, moi, je ne le sens même plus, tu es beaucoup plus présent en moi que ne l’est Koryu.
- Moi, je le sens. Il est tapi au fond de mon cœur, logé dans mon cerveau, et la vue du sang l’excite, constaté-je mal à l’aise.
- C’est parce que le sang est un conducteur naturel pour les manipulateurs corporels.
- Mais ça veut dire que sans lui, je ne suis rien. Toi, tu es un fossoyeur de la terre, ton pouvoir basique n’est pas directement lié à lui. Moi, la maîtrise de la foudre, de l’air, du sang, de la télépathie, tout ça, c’est Koryu. Alors, ça veut dire que sans lui, je n’ai pas de pouvoir, que je suis né sans pouvoir propre…
- Non, je ne pense pas. Les habitant de Pandore sont des manipulateurs corporels et n’ont rien à voir avec Koryu.
- Ca voudrait dire que la manipulation corporelle n’est qu’un pouvoir normal et non pas divin ?
- Hein ? Et bien… Je ne sais pas… Peut-être… mais tu dis toi-même que la vue du sang l’excite…
- C’est peut-être autre chose…
- Attends, tu veux dire que tu serais encore plus puissant ? Que ton véritable pouvoir ne s’est pas éveillé alors que tu ne maîtrises pas entièrement ton pouvoir basique ?
- Je n’en sais rien…
- Zephilis l’aurait remarqué quand même… Je suis sûre qu’elle connaît la véritable nature de Koryu.
- Peut-être qu’elle l’aurait remarqué mais elle ne me l’aurait pas forcément dit. C’est quelque chose qui m’a toujours gêné… En même temps, je me sens en phase maintenant avec Koryu, on s’est accepté l’un l’autre et il aurait déjà manifesté son vrai pouvoir. J’ai quand même réveillé une armée de morts alors quand j’étais gosse et contrôler ton père.
- Mais c’est peut-être plus complexe qu’un manipulateur corporel alors… si la vue du sang l’excite, c’est peut-être simplement un stimuli. Regarde, si on réfléchit bien, les seules fois où tu étais vraiment hors de contrôle, c’est lorsque tu manipulais plusieurs hommes à la fois.
- Non, pas quand j’ai affronté ton père.
- Mais mon père vaut bien la puissance de cent hommes réunis.
- Et au camp d’Azéria, j’étais simplement hors de contrôle.
- Hum… C’est pas faux… Peut-être que c’est parce que tu n’as pas encore communiqué avec Koryu que ton véritable pouvoir ne s’est pas manifesté. Depuis la fusion, je n’ai provoqué aucune illusion.
- Oui mais au moins, tu connais ton pouvoir.
- Et bien, ce ne serait pas étonnant que tu nous réserves encore des surprises, mon cher et tendre… Tu n’as jamais été comme les autres.
- Ne t’en déplaise, le taquiné-je. Et puis, tu es pire que moi !
- Meilleur que toi, tu veux dire !
J’ouvre mes bras pour qu’il vienne s’y blottir. Ce fut dans un sommeil agité que je plongeais, empreint de doutes et d’angoisse quant à notre futur, ressentant un cruel besoin de réconfort. Je me sens toujours aussi mal à l’aise. Trop de questions se bousculent dans ma tête. Shin a-t-il raison ? Que voulait dire Zephilis en disant que nos pouvoirs diminuaient?
Cette inaction commençait à me peser et quand je réfléchis trop, je déprime, je rumine, mes idées me font voir le monde encore plus noir qu’il ne l’est. Nous avons accepté notre destin et l’entraînement en faisait partie intégrante mais à rester là comme ça, ça me tape sur les nerfs. J’ai besoin de me défouler ou je vais finir fou. Même si je me souvenais encore de la frousse incommensurable qui m’avait paralysé face à l’Oracle et Karl. En gros, je devenais de moins en moins patient et j’attendais avec impatience le retour sur la terre ferme même si ça signifiait devoir à nouveau se battre contre des gens d’Agora.
Le lendemain matin, je gagne le pont supérieur d’un pas lourd et peu motivé. Je me concentre sur mon amant, prenant tout de même au sérieux nos entraînements, et plongeai dans son regard. Même si nos pouvoirs diminuent et finissent par disparaître, tant que nous sommes ensembles, rien ne pourra nous ébranler. Après tout, tout ça est tellement impersonnel, abstrait ! Sauver le monde ? Mais le monde comptait des dizaines de millions d’habitants pour s’occuper de lui, Karl ou mon père sont bien plus qualifiés que deux amateurs inexpérimentés et c’était tellement facile de perdre pied pour me noyer dans son regard, je le connaissais tellement bien, la moindre parcelle de sa peau, ses points sensibles, ses doutes, ses peurs, ses points forts, sa puissance. Nous nous complétions, nous étions intimes, personnels.
Un cri d’alarme me déchire les oreilles et est immédiatement suivi d’un violent coup sur le crâne, ce qui me sort de ma léthargie. Zéphilis est folle de rage.
- Mais vous écoutez quand on vous parle ?!!!!! Je vous ai demandés de vous fondre dans la nature, pas l’un dans l’autre. Je viens de vous dire que la fusion de vos corps n’était pas nécessaire et vous foncez tête la première dans le piège !! Bande d’inconscients ! Vous tenez tant que ça à perdre votre personnalité ?!
- Mais il ne s’est rien passé, on n’a même pas eu de contact physique, remarqué-je tandis que Shin arbore un visage grave.
- Pas de ça avec moi, gamin ! A force de vous côtoyer, je finis par vous connaître. Tu n’étais pas du tout dans le combat, tu étais complètement absent.
- Mais j’étais juste concentré sur Shin, c’est normal puisqu’il est mon adversaire.
- Je t’ai dit de te concentrer sur la nature, sur le monde qui vous entoure, sur l’essence même de Koryu ! Arrête d’être aussi égoïste, égocentrique, et écoute la nature. Vois à travers elle, respire à travers elle !
- N’importe quoi ! M’énervai-je, agacé. Comment veux-tu aimer la nature ? Je veux dire, j’ai toujours été sensible à ses charmes, attentif avec les animaux, mais ce n’est pas la même chose que ce que je ressens pour Shin. Ça n’aura jamais la même force !
- Ne tombe pas dans le romantique, gamin, ça me donne envie de gerber. Vous croyez vraiment que deux hommes qui s’aiment, c’est normal ? Vous croyez vraiment que c’est un hasard si vous avez grandi ensembles ? Je ne dis pas que votre amour est un mensonge mais votre attirance, poussée à son paroxysme, peut devenir dangereuse. Même si vous avez fusionné avec Koryu, tant que vous n’avez pas communiqué avec lui, il cherchera toujours à retrouver son unité, éliminant un à un les obstacles qui se dresseront contre lui, autrement dit, vous.
- Mais qu’est-ce que vous voulez dire par « dangereuse » ? Je veux dire… physiquement, psychiquement ?
- Asseyez-vous, nous ordonna-t-elle en soufflant. Nous nous exécutâmes puis elle reprit.
- Une relation implique deux personnes distinctes, elle devient malsaine lorsque celles-ci deviennent trop dépendantes l’une de l’autre, allant jusqu’à perdre leur identité et leur personnalité. Pour un couple normal, cela signifie simplement que la rupture sera très douloureuse, pour vous, cela constitue la première étape de la fusion charnelle, l’élimination du premier obstacle. Vous pousser l’un dans les bras de l’autre, c’est un moyen pour Koryu de retrouver son unité. Vous comprenez ? Une trop forte dépendance l’un par rapport à l’autre vous fera perdre votre identité, votre personnalité propre, vous rendant plus vulnérables à toute résistance. C’est ce que je veux dire en disant que vos pouvoirs diminuent maintenant que vous avez réveillé Koryu et que la communication devient indispensable, à défaut, Koryu s’éteindra purement et simplement et l’Oracle n’aura plus à s’inquiéter.
- Qu’est-ce que ça changera la communication ?
- La communication réveillera votre véritable pouvoir, elle vous révélera en tant que véritable divinité. Vous aurez absorbé toute la puissance de Koryu, son pouvoir sera définitivement vôtre. Alors au travail ! Tout repose sur la concentration et pourtant, c’est tellement simple… il suffit simplement de s’ouvrir à la nature, de l’embrasser…
Ebranlé, je reprends ma position et lance à l’attaque pour éviter de poser mon regard, pour éviter de réfléchir, pour éviter de basculer. Koryu surgit immédiatement, réagissant à l’excitation qui faisait bouillir mon sang, et jaillit dans toute sa splendeur, je le sens dans la moindre parcelle de peau. Je tremble tellement fort que même mes dents claquent. Je ferme les yeux pour me calmer mais j’ai à peine commencé à me sentir bien que je reçois une nouvelle taloche sur le crâne, le regard imperturbable de Zephilis me signifiant que je m’étais encore trompé de voix.
C’est fourbu de fatigue, le crâne en compote, que je regagne la couchette. Je m’endors en songeant que je n’ai pas pensé à poser la question concernant mes pouvoirs à Zeohilis. Je suis réveillé en pleine nuit par une violente secousse et je m’aperçois que je suis à terre, hors de mon lit. En levant les yeux, je compte une dizaine de soldats qui nous entourent. Je fais mine de me relever mais reçois une taloche et le soldat me crache dessus en m’ordonnant de rester couché. Un rapide coup d’œil m’a suffit pour voir qu’ils avaient récupéré nos épées et nos poignards. Des mains se mettent à me palper, d’un geste vif, je saisis le premier bras et le retourne dans un bruit sinistre. Le soldat hurle de douleur, j’évite le coup de poing d’un deuxième soldat visant mon visage qui parvient à se dégager avant que je ne lui broie la cheville. Les soldats hésitent, cette seconde de répit nous permet de nous relever et de nous placer dos à dos.
Les soldats tirent maladroitement leurs épées de leur fourreau, préférant négliger les nôtres qu‘ils avaient dû prendre comme butin. En soi, ils n’ont pas tord puisqu’ils ont surement plus l’habitude de manier leurs armes que les nôtres mais cela leur fait perdre du temps. D’un grand pas en avant, j’atteins le soldat le plus proche et lui enfonce mon coude dans son nez tandis que j’envoie mon pied dans le ventre de son voisin et le simple fait de me baisser me permet d’éviter le coup de lame porté par un autre soldat. J’achève mon mouvement d’une roulade pour arriver à l’endroit où avait atterri mon épée. La lame d’une épée m’entaille le visage et manque de peu ma gorge, je me retourne pour porter un coup à sa taille. Les hommes se sont répartis également leurs adversaires, nous flanquant de cinq adversaires chacun. La tâche aurait pu être malaisée s’ils n’avaient été de si piètres escrimeurs. Ils m’encerclent pour me limiter dans mes mouvements mais leur cercle était tellement parfait qu’un geste circulaire long, puissant et bas me permet de les tailler au niveau des chevilles. Le dernier a le temps de parer mon coup en reculant précipitamment mais je me jette sur lui pour lui porter un coup d’estoc. Les survivants se redressent précipitamment pour gagner la sortie mais ils se font happer par une énorme vague qui les propulse hors de notre navire.
Dehors, c’est un véritable carnage, nos ennemis impitoyablement balayés par de puissantes vagues d’un mètre de haut au milieu de laquelle Zephilis est protégée par un écran d’air. Nous rejoignons Zephilis une fois le calme revenu sur notre navire. Alentour, rien visuellement n’explique cette attaque soudaine mais nous pouvons entendre les bruits assourdissants des canons, des éclairs déchirent le ciel, la mer est agitée, aspirée, des fumées noires s’élèvent dans le ciel obscur.
Nous sommes suffisamment loin pour être hors de portée mais notre marge de manœuvre est très limitée puisque nous sommes en pleine mer. Même en abandonnant le bateau, ce serait reculer pour mieux sauter puisque toute la côte devait être envahie. Pas le choix, si nous voulons gagner Pandore, nous devons joindre nos forces à la bataille.
Zephilis invoque le vent pour faire gonfler les voiles et avancer plus rapidement, Shin et moi nous préparons à l’attaque.
- La troupe ennemie est composée d’une cinquantaine de navires, uniquement l’élite dit Zephilis. Celui-là était apparemment un navire éclaireur de l’armée de Pandore. On va faire une percée dans la flotte, nous serons trop exposés si nous restons à l’écart, tôt ou tard, nous serons repérés.
D’un geste fluide de la main, le bateau part en trombe et accoste sur la côte pandorienne. Je suis à deux doigts de vomir mais la réalité reprend bien vite le dessus. Ici, le vacarme est encore plus étourdissant, les cris des soldats percutent nos oreilles, les membres découpés étalent la plage de sang. J’ai l’habitude des combats mais pas des carnages et mon mal de cœur revient aussi vite qu’il est reparti. En voyant le bateau amiral agorien, nous nous précipitons. L’Oracle est-il là en personne ? Si le doute est permis, il ne l’est pas pour Karl. C’est forcément lui qui dirige les troupes. Je me tourne vers Zephilis qui s’occupe déjà des soldats dans un tourbillon d’eau, flammes, éclairs. Je pars à la poursuite de Shin.
L’Oracle, en apprenant que nous étions partis avec Zephilis, a dû anticiper notre prochaine direction et envoyer son amiral nous capturer. A moins que toute relation diplomatique ayant été rompue, l’Oracle a décidé d’user les grands moyens pour obtenir ce qu’il voulait. Il agissait tel un enfant, qui pleurait et faisait des caprices quand il n’obtenait pas ce qu’il voulait et outrepassait les pouvoirs qui lui ont été donnés pour satisfaire ses ambitions personnelles.
Je me mets à trembler en songeant que je devrais affronter Karl mais cette fois d’excitation. Maintenant que Koryu s’est éveillé, je suis plus fort et pour Shin, c’est pareil, il meurt d’envie de combattre son père, ce désir de montrer qu’il lui était supérieur a toujours brûlé en lui. La seule différence, c’est que nous ne l’assimilons pas à un ennemi et cette incertitude nous fait douter quant à l’attitude à adopter.
Les morts jonchant la route nous indiquent le chemin. Ils ne sont pas encore pleurés par les vivants, il est trop tôt, la bataille n’a même pas atteint son apogée. Une méthode aussi sanglante ne ressemble d’ailleurs pas à Karl, il a toujours respecté la vie de ses adversaires. Mais Agora est maintenant en guerre.
Les combats font rage mais nous parvenons à évoluer sans avoir à nous battre. La ville apparaît bientôt, les remparts envahis par les échelles tels des serpents enroulés autour des chevilles de ses victimes leur suçant le sang jusqu’à plus soif. Alors que les soldats s’aperçoivent de notre présence, Shin nous fait glisser jusqu’à l’intérieur de l’enceinte du domaine impérial. Je le sens perturbé : il est certes troublé à la perspective d’affronter son père mais il se fait également du souci pour la princesse Laya.
- Là, regarde ! S’écrie Shin, essoufflé.
Des flammes lèchent une partie de la façade nord du château. Nous nous précipitons sans prendre le temps d’admirer le bâtiment, les gens du château n’ont pas le loisir de former une file pour éteindre le feu, aux prises avec l’ennemi. Les vitres se brisent sous la pression, la fumée rend l’air quasiment irrespirable, corrompu par les atrocités de la bataille.
Une explosion souffle tout sur son passage. Karl surgit en trombe. Il se braque en nous voyant, paralysé par la surprise. Une femme manque de trébucher juste derrière lui, déséquilibrée par les gravas sur le sol. Son premier geste est de la repousser avant de la rattraper. Mon cœur manque un battement et ma voix se perd dans ma gorge. C’est tout juste si je sens la main de Shin se poser sur mon épaule.
Le temps s’arrête lorsque ma mère relève les yeux et tombe sur moi.
"Je vous ai demandé de vous fondre dans la nature, pas l'un dans l'autre"! Haha j'ai bien rit ^_^ Même si l'heure est grave! Je file voir la suite!